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La Scho(t)tisch à Paris (1849)

Frontispice et 1e page de la probable 1e édition de la Schotisch dédiée à la Reine Victoria

La schottisch est l'une des danses de couple qui est née pendant le XIXe siècle et qui a eu suffisamment de succès pour garder une place aux côtés de ses grandes soeurs la valse, le polka et la polka mazurka. On la danse toujours dans les bals de reconstitution actuels, et elle a fait son chemin dans le registre folklorique et dans les bals folk.


Des chercheurs en danse historique se sont déjà penchés sur la façon de la danser. Nous n'allons pas chercher plus loin qu'ils ne l'ont déjà fait : nous en serions incapables. Pour en savoir plus à ce sujet, nous orientons le lecteur vers les notes de Richard Powers (le lien est ici) et vers le blog de Susan de Guardiola (le lien est ici). Nous nous contentons d'apporter un complément d'information à propos de son apparition en France, complément d'information qui doit beaucoup... au site leboncoin.fr, comme nous l'expliquerons plus bas !


L'implication du maître à danser parisien Markowski dans l'arrivée de cette danse en France était déjà supputée grâce au livre "Markowski et ses salons : esquisse parisienne" (1860) où il est dit explicitement qu'"Il avait inventé la scottish et la sicilienne ; il avait apporté en France la mazurka et tant d'autres pas dignes d'être aussi connus. (sic)"


Pour étayer cette affirmation (douteuse vu que Markowski est aussi dit importateur de la mazurka, ce qui nous semble totalement farfelu), nous nous tournons vers les journaux. "Le Charivari" du 7 décembre 1854 dit : "L’auteur de la schotisch, de la sicilienne, de l’impériale, du tanzo (sic), M. Markowski, donne un grand bal de nuit samedi prochain dans les salons du passage Jouffroy, 46." Dans le tardif "Paris oublié" de Charles Virmaître (1886), l'auteur dit qu'"[entre 1848 et 1857,] [Markowski] composa plusieurs danses de caractère, qui sont encore en honneur dans nos bals publics : la scottisch, la lisbonnienne, le fango [sic], l'impériale, la friska furent dansées aux Variétés par Mmes Daudoirt et Alphonsine; Christian et Céleste Mogador dansèrent la scottisch aux Folies-Dramatiques." (NDLR : Céleste Mogador a été une des reines du cancan.)


Toutes ces déclarations dans des écrits sont naturellement dignes d'attention, mais elles ne valent pas les preuves de première main. C'est ici qu'intervient un brocanteur de la région de Toulouse qui vendait une partition sur leboncoin.fr...

"La Schot(t)isch" composée par Giuseppe Daniele et dédiée à la Reine Victoria n'est pas inconnue : on la trouve sur Gallica, par exemple. Mais il s'agit de la 12e édition, donc d'une édition tardive. Un revendeur professionnel de partitions anciennes propose, lui, la 3e édition. (Voir la reproduction du frontispice plus bas, dans la partie consacrée au compositeur Giuseppe Daniele.)


L'édition vendue par le brocanteur toulousain, dont le frontispice est reproduit en haut de l'article, est, elle, plus ancienne. Outre l'orthographe où le nom de la danse ne prend qu'un seul "t", on note qu'elle est dite "Nouvelle danse" (ce qui est le cas pour la 3e édition également), mais surtout, en 1e page de la partition elle-même, elle est effectivement dite "Réglée par Marcowski (sic)" (ce qui est spécifique à cette édition).

On suppose que celui-ci a dû imaginer une chorégraphie précise pour la Schotisch, mais on ne peut en dire plus car on constate quelque chose qui est plutôt courant chez ce maître à danser : comme dans la plupart des partitions de danse qui lui sont attribuées, il n'y a ici aucune instruction sur comment danser. On suppose que ces publications fonctionnaient comme une invitation à se rendre à ses cours ? A moins qu'on ait eu un peu de malchance pour les éditions qui sont arrivées jusqu'à nous ? Ou alors les directives du maître à danser ont été perdues ou jetées ?


extrait de la 1e page de "La Schotisch" "réglée par Marcovski" (sic), probablement la 1e édition

MARKOWSKI


Comme on ne sait pas si on aura l'occasion d'en reparler dans un article futur, on dit ici quelques mots du maître à danser Markowski. Il a occupé une place importante à Paris, ainsi qu'à Enghien-les-Bains où il a officié un temps.


(Maurice) Markowski, feuillet isolé, collection privée
représentation de Markowski par le caricaturiste Hadol, feuillet isolé, collection privée

Si tout le monde d'accorde pour dire qu'il est Polonais, ses origines restent cependant obscures : comment est-il arrivé à Paris ? D'où vient-il ? Son acte de décès du 11 avril 1882 dans le 3e arrondissement mentionne la ville polonaise de "Inausratzhawek" comme lieu de naissance. On n'a cependant pas trouvé cette localité où il serait né vers 1822.


Pendant tout le temps de son activité de maître à danser, il aura constamment les huissiers de justice à la porte de sa salle de danse pour réclamer qu'il paye ses dettes. Le livre "Markowski et ses salons" le décrit comme quelqu'un qui a été d'une grande inconséquence financière dans ses aventures professionnelles. C'est ce qui le précipitera dans la misère et lui vaudra, au terme de son parcours terrestre, d'être inhumé dans la fosse commune.


Il aura pourtant fait ce qu'il pouvait pour atteindre la reconnaissance et rentrer dans ses frais : laisser porte ouverte aux reines du cancan, attirer le chaland en faisant installer des fontaines à eau de Cologne dans ses bals, inventer des chorégraphies dont on parle... Mais rien ne pourra empêcher les conséquences de son inclination naturelle à la gabegie.


exemple d'affichette publicitaire pour les bals Markowski en 1860, collection privée. On annonce des fontaines d'eau de Cologne !

GIUSEPPE DANIELE


Un autre acteur important, sinon l'acteur principal du succès de la schotisch est le compositeur, Giuseppe Daniele. La danse lui doit énormément puisque seul son nom subsistera sur les éditions futures de la partition, Markowski en étant éclipsé.


Giuseppe Daniele est loin d'être un inconnu. On lui doit des dizaines de compositions et arrangements de musiques de bal. On l'a d'ailleurs déjà vu apparaître dans nos pages car il signe l'arrangement pour piano du Galop infernal du Jugement dernier de 1841 composé par Paul Cuzent, dont nous avons déjà parlé dans l'article qu'on trouve ici.


S'il apparaît dès les années 1840 sur la place parisienne, l'apogée de son succès et de sa renommée est atteinte vers 1850. Dès 1847, il devient le chef d'orchestre du Château des Fleurs, jardin d'agrément des Champs Elysées se trouvant juste avant l'Arc de Triomphe, dont la principale caractéristique est la présence d'une quantité astronomique et extraordinairement enivrante de... fleurs (comme son nom le laisse supposer). En 1849, on le trouve à la tête de l'orchestre du Jardin d'Hiver, espèce de jardin d'agrément en intérieur logé sur les mêmes Champs-Elysées, dans ce qui pourrait être décrit comme une réduction du Grand-Palais qui abriterait un jardin et serait suffisamment haut pour être planté d'arbres.


3e édition de "La Scot(t)isch", vendue par un revendeur professionnel. On ne mentionne pas Markowski à l'intérieur. On note le nom corrigé de la danse et le dessin, qui a été refait.

Il décède en 1890 après une dégringolade professionnelle que les journaux ne peuvent pas réellement expliquer. Il est à ce moment réduit à un "modeste emploi de contrebasse dans un [des] plus modestes théâtres [de Paris]", comme le dit le Ménéstrel du 9 février 1890. Peut-être un effet de son séjour en Italie dont il est fait état dans "La Gazette de France" du 21 août 1878 ?


On sait que le Jardin Besselièvre est, en été, le rendez-vous de la belle société. — Le directeur de ce magnifique établissement, toujours à la recherche de ce qui peut plaire au public, vient de traiter avec le maestro Giuseppe Daniele [...] M. Daniele qui, par un long séjour en Italie, s’est fait quelque peu oublier du public parisien, a tenu pendant des années, le sceptre de la musique de danse à Paris ; on lui doit une foule de ravissantes polkas : Les Lilas, le Sansonnet, les Marguerites, les Roses, etc. — II est notamment l’auteur de la célèbre schottisch Victoria (NDLR : la schottisch ne portant pas de titre, le rédacteur l'appelle ici par le nom de la Reine à laquelle elle était dédiée), la première exécutée en France et qui, depuis, a fait le tour du monde. Chef d’orchestre fondateur des concerts du Château des Fleurs, lequel fut, en son temps, l’une des merveilles de Paris, il donna ensuite de brillants concert (sic) au Jardin d’hiver [...]


BERNARD LATTE


Citons une dernière personne impliquée dans l'arrivée de la schottisch à Paris, et une fois n'est pas coutume, parlons de l'éditeur. Nous n'en disons généralement rien dans nos articles, mais il faut remarquer ici une chose étrange en ce qui concerne la danse qui nous intéresse : si le compositeur Daniele a officié au Château des Fleurs et au Jardin d'Hiver, la 1e page de partition indique explicitement que la schottisch a été exécutée pour la 1e fois au... Casino Paganini.


Nous trouvons une seule raison évidente à cette étrangeté : l'éditeur Bernard Latte est à ce moment directeur du Casino Paganini, sis au 11 de la Chaussée-d'Antin, dans le domaine de l'Hôtel du Duc de Padoue. L'endroit vient d'être rouvert à la fin du printemps ou au début de l'été 1849, et ce après une interruption de 10 ans (on lira les péripéties rocambolesques de sa 1e fermeture ici, dans l'édition 1926 de la Société d'Histoire et d'Archéologie des XVIIIe et IXe Arrondissements), et nous supposons que l'opportunité d'y faire représenter une nouvelle danse fait partie des multiples arguments commerciaux autant qu'artistiques susceptibles d'apporter le succès à ce nouvel endroit de divertissements.

plan de l'Hôtel du Duc de Padoue vers 1816, soit largement avant qu'il soit aménagé pour le Casino Paganini

La danse y est très probablement jouée pour la 1e fois pendant les bals de l'hiver 1849. On trouve mention de sa 3e représentation dans "Le Charivari des théâtres" du 17 décembre 1849 :


Casino-Paganini.

— Mercredi 19, 3e grande fête artistique.

— A 8 heures 1/2, magnifique concert : Je grelotte, sérénade comique chantée par Darcier; Pomponnette, par Mme Allard-Blin; les Mousquetaires, duo bouffe par les frères Lyonnet.

— 9 heures 1/2, tombola de 10 lots sérieux.

— 10 heures bal brillant et animé, dans lequel seront dansées les danses de salon seulement; polkas, redowas, mazurkas. Et pour la 3e fois, la Schotisch qui attire tout Paris.

— Eclairage féérique. La salle sera entièrement garnie de tapis et de tentures velours et or.

On peut se procurer des billets d'abonnement chez Bernard-Latte, boulevart Italien, 2


Néanmoins, l'enthousiasme des débuts fera long feu. Le Casino Paganini ne survivra que quelques années. La renommée de la schotisch n'aura pas été suffisante pour assurer une rentabilité durable à l'endroit. Comble de malchance, l'Hôtel du Duc de Padoue, qui abrite la salle, sera détruit vers 1860 pour réaliser le tracé de la rue de la Chaussée-d'Antin.


Notons encore que Bernard Latte perdra graduellement son aura en même temps qu'il perdra les compositeurs qu'il éditait dans les années 1830. Il vivra alors d'expédients... Il meurt le 26 mai 1876 dans le 10e arrondissement. Le 1er juin 1876, "Le Soir, Journal des Assemblées Législatives" publie une nécrologie :


"[Bernard Latte] était un travailleur errant. Il portait généralement un gros portefeuille sous le bras, assez semblable à la serviette dans laquelle les avocats empilent leurs dossiers et qui, sous son bras à lui, devenait une bourriche de morceaux de musique. Vieux et pauvre, il vivait des miettes du festin auquel, jeune et achalandé, ayant magasin sur le boulevard et possédant l’amitié des dieux de l’art, [...] il s'était royalement attablé parmi les élus. [...]

Maigre, porté sur des jambes qui semblaient demander grâce et n'obtenaient de son activité ni trêve ni merci ; le nez rouge comme la lanterne d’un commissaire de police, l’œil toujours vif surmontant la narine ouverte du flaireur de pistes, ce juif errant [...] était la personnification humaine de la pierre qui roule sans amasser de mousse. Que de petits métiers il a exercés depuis la chute de ses grandes affaires ! Fondateur du casino Paganini, qui s’effondra entre ses mains ; placeur de billets de loterie dans les bureaux de tabac [...]; pourvoyeur de danseuses pour les bals publics en France et à l'étranger ; remorqueur d'étoiles en strass pour les cafés-concerts, après l’éclipse de sa bonne étoile à lui et la disparition des vraies étoiles dans l’orbite desquelles il avait vécu [...]

s’il y a des mains fortunées dans lesquelles le cuivre devient or, il y a aussi des mineurs qui n’aperçoivent le filon que pour le perdre, et il semble que ce fut sa destinée à lui [...]

Infatigable chercheur de perles, il en trouva plus d’une fois, mais il n'en sut jamais garder pour lui que la coquille. [...]


Tel fut ce déclassé intelligent."


LA SCHOT(T)ISCH, UNE LONGEVITE EXCEPTIONNELLE


On le voit, la schottisch n'a pas porté chance à ceux qui ont présidé à sa naissance à Paris. Néanmoins, la danse a continué sa route jusqu'à aujourd'hui.


Le morceau de Daniele constitue la 1e incarnation française de cette danse et, comme elle, le morceau aura un succès durable. Les exemplaires scannés disponibles à la BNF font partie de la 12e édition. Celle-ci date de 1882. On continue donc à la publier 33 ans après sa représentation initiale !


12e édition de "la Schot(t)isch" telle que scannée par la BNF, avec une reproduction approximative du dessin d'origine
12e édition de "la Schot(t)isch", scannée par la BNF

Il n'en reste pas moins que la scottisch a mis du temps à arriver en France...


Si la France est le centre de la danse occidentale au XIXe siècle, la schottisch est tout de même un cas étrange : Paris ne s'en empare que tardivement. Des années auraparavant, on en voit par exemple la trace en Angleterre, comme montré ci-contre dans cet extrait de "The Newry Commercial Telegraf" du 24 avril 1845. Même si l'orthographe est bancal, on voit que la "schattischee valse" est enseignée par Monsieur Reynolds, professeur de danse irlandais qui retourne dans son pays après près de 3 semaines passées à Londres. Son expertise en danse est attestée par un certificat délivré par Eugène Coulon, maître de danse français exerçant à Londres. Coulon ne l'a cependant pas examiné sur ses connaissances de la schottisch.


Un passage intéressant de cette publicité est que la schottisch est dite avoir été introduite à la Cour d'Autriche par les élites allemandes, ce qui colle bien avec la supposition communément acceptée qui veut que la schottisch soit d'origine germanique.

A ce sujet, Susan de Guardiola rapporte que le maître à danser allemand Friedrich Zorn (1816-1895) mentionne la parenté de la schottisch avec le Rheinländer allemand dans son ouvrage "Grammatik der Tanzkunst". Et il faut bien avouer qu'on peut difficilement dire le contraire en regardant cette danse (voir vidéo ci-dessous).



LA RECONSTITUTION


Mais trève d'explications historiques ! Nous parlons d'une musique de danse, il faut maintenant vous la faire écouter ! La bonne nouvelle est que la BNF disposait des partitions pour orchestre. Nous les avons confiées à notre complice Ilkay Bora Oder (dont le site est ici). Le résultat est à écouter ci-dessous. On constate avec soulagement qu'on entend distinctement les mesures où les danseurs peuvent sauter, qui entrecoupent les mesures de polka. La conception que nous avons du pas de schottisch (ou de rheinländer) colle donc parfaitement à la musique, ce qui est toujours une bonne nouvelle ! Bonne écoute à toutes et tous et, pour les plus téméraires, bonne danse !



P.S. Vous aurez constaté que nous n'avons pas parlé de la Reine Victoria alors que la Schotisch lui est dédiée. Nous n'avons en effet aucune idée de la raison de cette dédicace, à part le fait que "la Schotisch" fait référence à l'Ecosse, dont elle est la souveraine...

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